SOMMAIRE

Editorial Cap Digital

Au fur et à mesure de nos utilisations d’Internet, la diffusion et les usages liés à la publicité ont évolué et se sont largement complexifiés. Entre la multiplication des espaces publicitaires disponibles et la croissance de l’utilisation des adblockers – Google vient même d’imaginer intégrer un adblock à son navigateur Chrome – la publicité est en quête de nouveaux formats (native ad, brand content…) à proposer à ses usagers. Lesquels sont nombreux à râler : comme 83% de Français, je suis « irritée » par cette publicité en ligne, trop intrusive. Je fais déjà partie des 36% des internautes Français qui utilisent un adblocker. Pourtant, seulement 4% de mes compatriotes se déclarent prêts à payer pour se débarrasser des coupures de pub… Alors même que la plupart des modèles d’affaires des services disponibles en ligne fonctionnent grâce à la diffusion de publicités. Ce qui a donné lieu à des détournements pour la bonne cause, comme Goodeed, qui propose aux utilisateurs de reverser l’argent gagné grâce au visionnage de publicité à des organisations caritatives.

La résurgence de médias payants, comme le plus cité Mediapart, montre que des modèles économiques pas seulement fondés sur la publicité ou la monétisation des données personnelles sont possibles. D’autres médias numériques et gratuits comme Usbek et Rica ou My Little Paris explorent des voies alternatives… Néanmoins, la polémique du kiosque SFR vient nuancer ce radieux constat. Le débat suscité par le phénomène des « fake news » a d’ailleurs remis la question cruciale de la qualité de l’information au goût du jour.

Alors que chacun peut être « influenceur » en exprimant ou partageant son opinion, nous « reprenons » collectivement conscience, dans cette cacophonie générale, que, oui, journaliste est un métier ! Comme le rappelle le fondateur de DAREWIN, le défi de ce siècle ne serait-il pas d’émerger ? Quelques voix sortent toutefois du lot sur les réseaux sociaux : ces fameux influenceurs, désormais courtisés par les marques et agences. Des modèles de rémunération de ces derniers émergent, avec, en corollaire, une certaine professionnalisation qui soulève la question de leur(s) statut(s) – notamment juridique, comme le montre la condamnation récente d’instagrammeurs pour « publicité déguisée ». Que ce soit à travers une campagne social media ou le travail quotidien de présence de la marque sur les réseaux sociaux, une notion revient : celle de « communauté », d’ailleurs objet d’une récente table-ronde organisée par le Social Media Club. Sa co-présidente, Caroline Brugier, prolonge la réflexion.

Qui dit groupe dit règles de vie en communauté. Il semblerait que Facebook, YouTube, Twitter et consorts ne se soient pas posé la question à temps : chacun tâtonne à définir un modèle de modération, tandis que les annonceurs jouent le rôle de censeurs, comme dans l’affaire Hanouna. D’aucuns choisissent le mode de la – disons-le – censure, tandis que Twitter hésite et que YouTube a été réprimandé par les annonceurs, dont certains ont mis en « pause » leurs achats d’espaces publicitaires. Pour Natalie Rastoin, présidente d’Ogilvy Paris, les relations entre GAFA et annonceurs sont à la recherche d’un nouvel équilibre, ces derniers n’hésitant moins à se montrer plus exigeants quant à l’environnement contextuel. Mais pour Eric L’Helgoualch de Webedia, in fine, ce sont les Google, Facebook et autres qui détiennent les données – le nerf de la guerre ?

Avec l’avènement du programmatique (Tradelab m’a éclairée : programmatique, nom masculin), il est devenu possible de cibler très précisément l’internaute. Pour cela, une condition, être en mesure de collecter et d’analyser ces données – annonceurs, agences, mais aussi start-ups, cabinets d’études marketing ou cabinets de conseil ont donc entamé une course à la data, cet « or noir ». Une compétition qui va s’intensifiant puisque l’ensemble des acteurs se sont mis d’accord pour identifier le ciblage et la personnalisation des publicités comme remède au « fléau » des bloqueurs de publicité.

Autre piste explorée, l’utilisation des technologies numériques pour créer plus d’interactivité et d’engagement entre le consommateur et la marque. Ainsi, l’utilisation de la réalité augmentée (comme les expériences de marques Pokemon Go) ou de la réalité virtuelle permet d’offrir une expérience de contenu différente, plus immersive et engageante. Des innovations technologiques pour booster la créativité ? Une évidence, pour Guillaume Cartigny de Publicis Conseil, qui revient sur la notion de « creative technology ».

■ L’équipe de veille Cap Digital

Chiffres clés

Quelques défis

3,216 Mds €

Le CA de la publicité en France (2015)

70%

des consommateurs préfèrent découvrir une marque par
des contenus originaux et créatifs (2017)

12 millions €

La dernière levée de fonds de Linkfluence (octobre 2016)

77%

La part du marché (en CA) captée par Facebook et Google

13,2 mds €

C’est le poids de la pub native en 2020.

2, 1 mds €

Le poids du brand content en 2020

2,5 millions €

La dernière levée de fonds de Realytics (2017)

  • CRM / DMP

  • Social Media

  • Brand content

  • ROI

  • Programmatique

Regard d’experte

Panorama – Natalie Rastoin, Présidente d’Ogilvy Paris

« Les communautés digitales sont désormais plus importantes et plus puissantes que les communautés géographiques »

Comment le numérique bouleverse-t-il les anciens équilibres entre marques, agences et consommateurs ? Que modifie l’arrivée des GAFA et des start-up ? En quoi les relations entre ces acteurs sont-elles en cours de structuration, de « sortie de l’adolescence » pourrait-on dire ? Natalie Rastoin, Présidente de l’agence Ogilvy Paris, membre de Cap Digital et vice-Présidente de d’AACC nous livre son analyse des rapports de force à l’heure actuelle.

PhotoNatalie20171Nous sommes entrés dans l’âge de la multitude décrit par Henri Verdier, où le numérique permet aux utilisateurs de devenir force de proposition. L’émergence des outils numériques a progressivement permis aux consommateurs de se structurer en communautés, afin de faire valoir leur opinion auprès des marques.  Cela bouleverse la relation entre les marques et leurs consommateurs, qui ont désormais la possibilité d’évaluer en permanence la qualité du service ou du produit. L’évaluation est entrée dans la culture numérique : 7 millenials sur 10 considèrent qu’il est de leur devoir d’évaluer leur expérience de consommation. On voit donc émerger un véritable contre-pouvoir à la proposition marketing.

«  L’évaluation est entrée dans la culture numérique : 7 millenials sur 10 considèrent qu’il est de leur devoir d’évaluer leur expérience de consommation. »

Le numérique bouleverse les anciens équilibres

Dans ce contexte, le rôle de l’agence évolue. Certains objectifs ne changent pas, tels que celui de bâtir une marque. En revanche, l’environnement de leur réalisation est profondément modifié. Hier, on comprenait le consommateur par des référentiels sociologiques tels que la CSP ; aujourd’hui, il est essentiel de saisir la nature des communautés, des influences, afin d’aider la marque à s’intégrer dans la discussion.

Les temporalités ont changé. Les marques doivent être capables de construire une image de long terme tout en étant très réactives dans des laps de temps très courts. Elles ne peuvent plus avoir une approche autoritaire mais doivent co-construire leur image avec leurs communautés. Jusqu’à 90% des contenus d’une marque sont partagés et créés par ces dernières ! Il faut donc savoir répondre aux gens et les laisser libres de s’exprimer.

« Jusqu’à 90% des contenus d’une marque sont partagés et créés par sa communauté »

Penser qu’on peut encore maîtriser totalement son image de marque est une grave erreur. Ces dernières années, chaque fois qu’une marque a eu une relation caporaliste aux consommateurs, elle a récolté une vraie crise. Pourtant, cet état de fait reste très dérangeant pour les décideurs, encore aujourd’hui. La légitimité de celui qui s’exprime n’est plus d’origine institutionnelle, elle est attribuée par la communauté, avec des influenceurs plébiscités par leurs followers. L’autorité d’une personne est désormais légitimée par la communauté. La multitude crée de nouvelles expertises, ce qui interroge forcément les hiérarchies traditionnelles.

Apprendre à travailler avec les communautés digitales

Historiquement, Ogilvy Paris est dotée d’une forte expertise dans le domaine de l’influence et de la réputation. Nous considérons que l’existence de communautés est une opportunité pour les marques : les consommateurs y sont très réactifs, ils participent à la création de services et à la stratégie marketing. Il y a plusieurs types d’influenceurs : les « traditionnels », capables d’atteindre instantanément un nombre impressionnant de personnes, mais leurs liens avec les marques diminuent leur crédibilité. Des « ambassadeurs » ont émergé, positionnés sur des communautés plus spécifiques, avec une force de recommandation plus importante. Cela soulève une question éthique. Les marques doivent apprendre à ne pas aller trop loin avec les ambassadeurs, comme avec les journalistes, afin de privilégier cette position de tiers de confiance. Il faut aussi garder en tête que les mondes digitaux et physiques s’hybrident : les communautés finissent toujours par se rencontrer offline, une bonne stratégie de marque pense digital et physique de façon intégrée.

« Des « ambassadeurs » ont émergé, positionnés sur des communautés plus spécifiques, avec une force de recommandation plus importante »

Les erreurs à éviter quand on est une start-up

Les start-up françaises répètent souvent deux erreurs. La première, c’est de penser en termes de technologie et non en termes de marketing, de bénéfice utilisateur. Il est primordial de s’assurer que l’utilisateur comprend le produit. La Silicon Valley crée le besoin en même temps que la technologie, alors qu’en France, les start-up ont tendance à appliquer une technologie sur un besoin non vérifié. Le deuxième bon réflexe est de penser dès le départ mondialement, avec un nom qui puisse s’exporter facilement. Le premier nom de BlaBlaCar, c’était Covoiturage.fr ! En effet, les communautés digitales sont plus importantes, plus puissantes que les communautés géographiques. Il faut penser donc penser marque, UX-design, expérience client dès le début.

La collaboration start-up et agences sort de l’adolescence

Henri Verdier et moi-même avons lancé le Start-Up Project entre Cap Digital et l’AACC, qui met en relation des start-up et des agences. A l’instar des start-up, la communication valorise puissamment la créativité. Longtemps, le secteur a cru que la technologie n’était qu’un outil de mise en œuvre ; lorsque nous avons créé le Start-Up Project, c’était justement pour que secteurs digital et communication puissent se rencontrer et accélérer la transformation numérique. D’autre part, nous nous sommes rendu compte que la technologie était aussi, en soi, porteuse de nouvelles créativités. Elle a rendu possible une meilleure efficacité dans le ciblage, avec – entre-autres – Criteo. Nous avons donc tout intérêt à poursuivre ce renforcement des liens entre culture digitale et communication. Les relations entre start-up et agence continuent à évoluer à mesure que nous apprenons à travailler ensemble. En même temps, nous sommes proches culturellement : souvent des entreprises de petite ou moyenne taille, avec une même appétence pour la créativité. L’enjeu est aussi de ne pas laisser l’apanage de la structuration des relations avec les start-up aux seuls grands groupes.

« Un enjeu actuel est de ne pas laisser l’apanage de la structuration des relations avec les start-up aux seuls grands groupes »

Les relations annonceurs & GAFA en tension

Les GAFA sont en situation de quasi-monopole mondial, ce qui change radicalement la donne. 20% de l’espace média mondial est chez Google et Facebook. A titre de comparaison, l’acteur le plus important du marché en France dans les années 1980 était TF1… En revanche, ils sont aujourd’hui mis au défi de conserver la confiance des annonceurs. Les GAFA doivent impérativement réfléchir à la qualité des environnements contextuels, fondamentale pour que les annonceurs continuent à acheter des espaces publicitaires. Le problème, c’est qu’actuellement, à l’achat d’un espace (par exemple sur YouTube) on ne sait pas dans quel contexte la publicité sera diffusée. Des annonceurs de rang mondial, comme HSBC, Procter ou Vérizon ont donc clairement exprimé leurs inquiétudes. L’autre enjeu est celui du fonctionnement en vase clos : dans le système actuel, les GAFA mesurent eux-mêmes leurs propres audiences, avec des méthodologies souvent opaques.

« Les GAFA doivent impérativement réfléchir à la qualité des environnements contextuels, fondamentale pour que les annonceurs continuent à acheter des espaces publicitaires »

J’ai confiance en la capacité des annonceurs mondiaux à peser suffisamment pour faire bouger les lignes. Dans un monde de recommandations, je ne vois pas comment les GAFA ne feraient pas évoluer leur modèle pour correspondre aux attentes des annonceurs, dont certains ont annoncé une pause dans leurs investissements. Les GAFA devront s’ouvrir à des tiers de confiance, qui puissent contrôler, mesurer et sélectionner les audiences.

 « Les GAFA devront s’ouvrir à des tiers de confiance, qui puissent contrôler, mesurer et sélectionner les audiences »

Ce que les innovations technologiques vont changer

Les grandes ruptures technologiques, comme celle que nous vivons actuellement, créent toujours des moments de vertige. L’intelligence artificielle (IA) permettra, à terme, de faire de meilleures prédictions, pour une communication moins polluante et la fourniture de services de qualité. Nous allons assister au croisement entre la création et la programmatique. Nous sommes devenus capables de cibler très finement le destinataire final, mais pas nécessairement d’adapter le message en fonction. Nous allons répondre à ce besoin en racontant des histoires de plus en plus individualisées. Cela posera la question du collectif : les gens préfèrent-ils qu’on s’adresse à eux individuellement ou en tant que groupe ? En fonction de quoi ? Par ailleurs la personnalisation des messages soulève la question des filter bubbles. A nous de saisir quand proposer un élément de surprise, pour pallier au risque de l’enfermement dans des contenus répétitifs. Cette réflexion doit venir de la société dans son ensemble, car le premier risque est démocratique. C’est ce que cette année électorale a montré, en particulier aux Etats-Unis.

« Nous allons assister au croisement entre la création et la programmatique »

pub_bando11 AGENCES. ANCIENS RÔLES ET NOUVELLES FRONTIERES

A quoi ressemblera le métier des agences dans cent ans ? Difficile à dire, tant leur rôle connait de profondes mutations. Émergence de nouveaux métiers aux noms en « istes » – strategic technologists, creative technologists – l’ère des « créas » de Madmen ou 99 Francs semble révolue. Alors, place aux geeks, c’est hip ? Que ce soit DAREWIN, Publicis Conseil ou Havas Media, un seul mot d’ordre : innover. Tandis que Merlin Agency a choisi une voie alternative : conseiller les start-up sur leurs stratégies de communication. Webedia, lui, invente un autre modèle économique pour les médias et rachète des start-up à tour de bras.  Le numérique rebat les cartes de la pub.

Anciens rôles, nouvelles frontières

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